• FAQ/interview (ou interview/FAQ) autour de Pierre-de-vie de Jo Walton

     

    Jo Walton a eu l'immense gentillesse de nous autoriser à reproduire une Foire Aux Questions sous forme d'interview (à moins qu'il ne s'agisse d'une interview sous forme de FAQ...) publiée à la fin de l'édition originale du roman. Tout propos qui pourrait sembler flou au lecteur est (a priori) de la seule responsabilité du traducteur (bénévole quoiqu'incompétent [bénévole parce qu'incompétent ?]) Cela étant dit...


    ATTENTION !!!

    Cette FAQ risque de divulguer un certain nombre de points dont certaines personnes ne souhaiteraient pas avoir connaissance AVANT la lecture du roman. Donc, vous qui lisez ce qui suit, c'est à vos risques et périls : spoilers inside comme dit le jeune (vraiment ?).

     


     

     

    Comment vous est venue l’idée de Pierre-de-vie ?

    Je lisais A medieval Family, de Frances et Joseph Gies, sur les Paston, une famille qui vivait en Angleterre au xve siècle. Un certain nombre d’éléments m’ont frappée. De manière très intéressante, ce qui était décrit dans le livre différait sensiblement du genre d’Europe médiévale que l’on trouve en général dans les romans de fantasy. En premier lieu, il y avait la façon dont les gens s’attaquaient en justice les uns les autres pour toutes sortes de raisons. Par exemple, dans l’une de ces affaires, une famille qui possédait un manoir et l’avait vendu, venait prétendre, plusieurs générations après, qu’ils en avaient été spoliés. L’idée de la famille d’Applekirk est née de cela.

    La nature insolite du monde de Pierre-de-vie, quant à elle, vient d’une discussion que j’ai eue avec mon mari. Elle portait sur les singularités magiques. De là, je me suis immédiatement mise à réfléchir à une version fantasy des « zones de pensées »[1] de Vernor Vinge. Il y a une histoire qui illustre la théorie de la relativité mais à la vitesse d’un vélo, plutôt qu’à celle de la lumière. J’ai pensé que ce serait intéressant de voir comment les choses fonctionneraient s’il existait, littéralement, des zones temporelles. Une variation sur le thème de Vinge, en quelque sorte.

    Enfin, j’ai voulu écrire une histoire qui se passe à petite échelle, celle d’une famille. Certes, il y a énormément de magie, mais essentiellement utilisée dans la vie quotidienne.

    J’ai enfin eu l’idée de Jankin, qui arrive et perturbe toute la maisonnée, et je suis partie de là.

    Pourquoi le roman est-il écrit de manière aussi étrange ?

    J’ai bien tenté de l’écrire de manière plus conventionnelle, au passé, et avec un seul point de vue à la fois... mais ça ne fonctionnait pas du tout. Cette façon étrange de faire, où tout se passe en même temps et est organisé par thèmes, est la seule qui fonctionnait.

    Est-ce que c’est vous qui l’avez inventée ?

    Oh, non, je l’ai empruntée à Fugue (Fugue in Time, 1944) et à China Court (1961) de Rumer Godden. Ce sont deux histoires qui mettent en scène des familles dans une maison, et écrites au présent, comme la mienne.

    Donc les influences pour ce livre sont Vernor Vinge et Rumer Godden ?

    C’est cela. Sans oublier Gies et Gies.

    Vous avez dit être partie de Jankin. Et Hanethe ?

    Hanethe a fini par prendre le pouvoir sur l’histoire, en quelque sorte. Parce que c’est sa nature : une femme à histoires. Alors que ce n’est pas vraiment le cas de tous les autres personnages. J’ai beaucoup appris à ce sujet en écrivant ce roman. Je ne voulais pas d’une intrigue à grande échelle, qui change le monde, mais j’ai bien été obligée de faire ce que j’avais à faire.

    Pourquoi ne vouliez-vous pas d’une intrigue à grande échelle ?

    Vous vous dites que de bonnes histoires ne peuvent pas naître dans le bonheur, en ne parlant que du feu dans l’âtre, du seau dans le puits, du vent dans les combles, des céréales qui arrivent à maturité... Vous essayez malgré tout d’écrire ces histoires et elles se transforment sous vos doigts en incidents informes. Mais refaire ce qui a déjà été fait avant, ce n’est pas façonner une histoire, même si votre tentative a failli réussir.

    Certains auteurs prétendent que la vie des femmes est importante, mais ne les représentent qu’à travers des personnages féminins menant des vies typiquement masculines : femme capitaine de vaisseau spatial, femme mercenaire, femme chevalier... Ils ne montrent jamais aucun personnage de quelque genre que ce soit dans un rôle d’éducateur ou de parent. C’est faire preuve de dédain envers la vie des femmes. C’était un problème que je souhaitais traiter dans ce livre.

    Et donc, ça n’a pas marché ?

    Pas du tout ! Ça s’est révélé plus difficile que ça n’en avait l’air. Qui aurait pu le prévoir ?

    On dirait que l’orient est l’endroit le plus intéressant ! Pourquoi l’histoire se situe-t-elle à Applekirk ?

    Il faut des gens dans une histoire. En orient, ce ne sont plus tout à fait des gens. C’était déjà suffisamment difficile de devoir gérer Hanethe.

    Vous dites que tous vos livres sont de la science-fiction. Celui-ci ressemble tout de même beaucoup à de la fantasy, non ?

    Non, c’est aussi de la SF. Enfin, évidement, c’est de la fantasy, mais c’est de la SF dans le sens où je sais exactement comment tout fonctionne. Et il y a aussi une chronologie cohérente qui part de notre monde pour aboutir à celui qui est présenté dans le roman.

    Euh... Vraiment ?

    Oui ! Bon, c’est invisible dans l’histoire telle qu’on la lit, mais voici ce qui s’est passé. Des gens très puissants de notre monde se sont enfermés dans un univers de poche. Au début, seul l’orient existait, tout l’univers était comme ça. Il était impossible de vivre à une échelle humaine. Les gens se sont mis à aller vers l’ouest dès qu’ils l’ont pu. Les premières personnes à s’être installées savaient qu’elles pourraient se maintenir en tant qu’entités divines à travers de nombreux corps, mais elles n’avaient aucune idée de ce à quoi ça ressemblerait. Les dieux ont encore quelques souvenirs de cette période, mais comme aucun des corps qu’ils utilisaient à l’origine n’est encore en vie, la mémoire de tout cela s’est, en grande partie, perdue.

    Ça a l’air très intéressant. Allez-vous écrire quelque chose sur l’installation dans cet univers de poche et sur la raison qui a poussé les premières personnes à le faire ?

    Non, je n’ai absolument pas prévu d’écrire quoi que ce soit d’autre se déroulant dans cet univers.

    Oh... Et pourquoi pas ?

    Ah ! Vous voyez ! Les gens disent tout le temps qu’ils aiment les romans indépendants, mais la preuve que non !

    On en apprend un petit peu sur l’orient, dans le livre, mais à quoi ressemble l’extrême-occident ? Et Marakanda ?

    À l’ouest de l’occident, les gens sont comme des robots. Ils n’ont aucun libre arbitre. À Marakanda, on est un peu plus rigide qu’à Applekrik, mais les choses sont tout de même un peu plus sous le contrôle des êtres humains. Je voulais présenter une autre partie des Marches, culturellement différente, et c’est à cela que sert Jankin, qui vient justement de Marakanda.

    Donc, plus on va vers l’orient et plus on a de libre arbitre ?

    Jusqu’à ce que vous n’en ayez plus du tout, puisque vous devenez partie intégrante d’un dieu ou d’une déesse. C’est un paradoxe intéressant !

    Qu’en est-il de ce problème temporel ?

    L’espace et le temps se dilatent quand vous allez vers l’ouest.

    Y a-t-il une signification particulière au choix de cette direction ?

    Absolument pas.

    D’où vient le mot « yeya » et que veut-il dire ? Pourquoi ne pas avoir, tout simplement, utilisé le mot « magie » ?

    Je voulais un mot différent, parce que le mot magie est trop connoté. Je voulais quelque chose qui sonne comme un mot de la vie quotidienne, lié à la vie de famille. Yeya vient de ééan – il apparaît d’ailleurs une fois, tel quel, dans le roman. Ééa était l’île où habitait Circé dans L’Odyssée, et ééan était parfois utilisé comme synonyme de « magique », « ensorcelé »...

    C’est donc un mot grec. Il y a d’autres éléments qui sonnent vaguement grecs, dans le roman, pourquoi ?

    Beaucoup de noms sont des variations en anglais médiéval de noms grecs. Après tout, ils viennent de notre monde, à l’origine.

    Le changement qu’Agdisdis voulait faire, à savoir ne pouvoir avoir des enfants que dans les liens du mariage, est exactement la façon dont les choses se passent dans votre roman The King’s Peace et ses suites. Est-ce volontaire ?

    Oh, oui !

    Pourtant, dans ces romans, ça semble être une excellente chose. Alors que c’est exactement le contraire dans Pierre-de-vie.

    C’est un changement extrêmement net et radical, qui fait que le monde en est très différent. Mais la façon dont vous le vivez dépend beaucoup du point de vue que vous en avez.

    Que se passe-t-il après, pour Hanethe et Jankin ?

    J’ai arrêté l’histoire là où je l’ai arrêtée parce que c’était le moment parfait pour le faire. Et il me semble que je vais faire pareil pour cette FAQ.

     

    [1] Zones of Thought est le nom de la série à laquelle appartient notamment le roman Un feu sur l’abîme. (Note du traducteur.)


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